Alors que nous étions paisiblement assis autour d’un verre, après une journée à déchirer nos doigts dans les trous du Frankenjura (Lors du stage de Climbcool, c’est cool), Merlin Didier m’a proposé d’essayer quelque chose de différent à notre retour. Sans doute avait-il encore fait l’un de ses mystérieux rêves dans lequel un ornithorynque masqué et armé d’une brosse à dent lui aurait sommé de s’attaquer à des parois sensiblement plus grandes (Merlin est un rêveur). A la base, l’idée était de s’aventurer sur les faces de granit de Chamonix. Idée à laquelle nous avons rapidement dû renoncer pour de multiples raisons.
Il nous fallait donc un projet de remplacement. Ainsi, c’est en surfant sur la toile, que je suis tombé sur ces mots de Nico Fravresse écrits en 2004 : « Sean Villanueva et moi-même avons décidé de relever le défi des 5 combinés de Freyr dans la journée. Soit 1200 m d’escalade pour plus de 52 voies. Après une première tentative qui avait échoué il y a deux ans, nous avons bouclé cette première ascension en exactement 14h 26 min! Nous nous sommes jurés de rééditer cette exploit mais, cette fois-ci, avec comme objectif de passer en dessous de la barre des 10 h. Avis aux amateurs? ». LES 5 COMBINES DE FREYR. Je venais de découvrir ce qui allait occuper nos cerveaux jusqu’à la semaine d’après ! J’ai appelé Merlin, et il ne m’a pas fallu longtemps pour le convaincre d’accepter de profiter de l’absence du CAB-RCT (et éviter ainsi une récidive trop rapide) pour s’attaquer à ce challenge laissé de côté depuis trop longtemps.
On avait le contenu du projet, il nous fallait maintenant le concrétiser. On y va en canoë ? A vélo ? De la Mer du Nord ? De la Grand-place de Bruxelles ? De Louvain-La-Neuve ? J’ai tiré des leçons de ma tendre enfance, l’époque où je refusais de prendre les plats enfants, tout en avalant à peine la moitié de mon spaghett’bolo adulte : mouais contentons-nous de Louvain-La-Neuve pour le moment ! Au niveau des règles : 1) On prend tout le matos avec nous (tout en ayant le droit de remplir nos bidons au refuge). 2) Roule ou crève (pas de chambre à air de rechange). 3) Pas d’abandon (sauf en cas de souci vital). 4) Le style est le plus important. 5) Pas de règle 5.
Vendredi 23 aout, Louvain-La-Neuve, 3h44 AM. Nous enfourchons nos bicyclettes le ventre rempli d’un petit dej’ forcé (faut dire que tu n’as pas particulièrement faim quelques heures après une grande frite fricadelle, avec ou sans maillot). Il fait frais et l’excitation est à son comble. Nous ne nous chargeons pas inutilement d’un topo, et nous comptons sur nos mémoires pour nous guider à travers le calcaire freyrien (élément délicat de l’expé pour notre «College dropout » qui n’a rien étudié depuis de longues années). Le trajet aller se fait en silence et sans embuche sur des routes vierges d’automobiles. 70km et 2h30 après le départ, nous gravissons le col terminal…








Partie supérieure de la face sud de l’Al Legne, 7h01 AM. Je m’élance dans la première longueur de la Trans-freyrienne. On est en forme et efficace. La pluie, les chutes de nuts (dans la section d’artif) et un camelbag perméable qui transforme la magnésie en pâte à crèpes ne nous effrayent pas !
Tête de lion, fin de matinée. Nous troquons la fraicheur et l’humidité matinale pour la chaleur étouffante des pierrades freyriennes, bien connue des grimpeurs belges. La viande est salée, la cuisson peut commencer ! « Ex fan des sextos », le plus dur des 5 combinés. Après quelques longueurs, je profite égoïstement de la dernière gorgée d’eau (sans vraiment l’avouer à Merlin). Soif. Une idée en tête : sortir de ce fichu secteur ! Quelques longueurs et combats plus tard (je conseille vivement les deux 6c du Jurassique), nous débouchons la gorge sèche au sommet du Pâpe.
H2O, l’eau est un composé chimique ubiquitaire sur la Terre, essentiel pour tous les organismes vivants connus, on l’avait presque oublié…
Pas de temps à perdre : on a encore du boulot ! « Tcheu ! On a intérêt à mettre le turbo », « On est pas venu pour beurrer des tartines ! ». C’est ainsi que notre fin de journée est occupée par une mission : en finir rapidement avec les 3 combinés de la jeunesse et du Louis-Philippe. Spéléo, rochers pèteux, et verdure agrémentent notre escalade. Nos avant-bras sont imbibés de lactate et on s’amuse comme des petits fous.
On y est presque, la nuit tombe, je regarde le chrono : « Ça va être limite ! On y va en corde tendue !». « RELAIS ! », enfin j’y suis, « Fonce l’ami ! », Merlin me rejoint, je coupe le chrono : 14h16min03sec ! VICTOIRE ! J’allume ma frontale, et il n’y a plus qu’à rentrer… A bicyclette !






ouvain-La-Neuve, 01h13 AM, 21h29 après le départ. « Tu crois qu’il y a encore une friterie ouverte à ct’heure ? »
Lorsqu’on sait qu’en 1975, Jim Bridwell, John Long et Bill Westbay ont réalisé le Nose en 17h45 et que le 16 juin 2012, Alex Honnold et Hans Florine ont descendu le record à 2h23m46, on peut imaginer que dans une trentaine d’année, le record des « 5 combinés de Freyr » aura sensiblement diminué (Si on admet que la comparaison est valable, et grâce à une simple règle de 3, cela nous amènerait en 2050 avec un temps de plus ou moins 1h06m48s. il est temps de se mettre au boulot !)
Amateurs, ne perdez pas de temps, nous, on est pressé de réessayer !
Les 5 combinés : La Trans-Freyrienne ; Ex Fan de Sexto ; Pire Louis ; 342h dans les Grandes Jorasses & Vahinés – 56 longueurs -1200m d’escalade.

