Complètement à l'Ouest - Sébastien Berthe
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Les oiseaux migrent vers le sud quand vient l’hiver. Nous, grimpeurs avides de granit, migrons vers l’ouest quand vient l’automne. Objet de la migration : retrouver les fissures à gogo et les conditions idéales que nous offre la vallée du Yosemite.

Dans la vallée, une équipe de belges complètements à l’ouest s’est constituée. Les protagonistes ne sont autres qu’Olivier Zintz, Tim De Dobeleer, Eric Berthe et moi-même (le fils de l’autre). Sur place, nous avons retrouvé la crème de la crème : Nicolas Favresse, Sean Villanueva, Siebe Vanhee et Klaas Willems.

Voici les chiffres qui ont résulté d’une « belgian crew » particulièrement en forme :

32 553 mètres d’escalade cumulé et pas moins d’une dizaine de faces différentes gravies,  6 ascensions en libre d’El Capitan (dont 2 dans la journée), 1 nouvelle voie ouverte, 4 ours aperçus, 17 shitbags remplis, une dégustation de vin, une journée au spa et à peine 12 pizzas et 6kg de frites ingérés.

Douleur, ô ma douleur

Comme une aiguille que l’on s’enfoncerait dans l’œil, comme des ongles que l’on s’arracherait, comme si une moissonneuse-batteuse m’avait roulé sur le corps, j’ai mal. Aujourd’hui c’est jour de repos, et pourtant, j’ai mal. A chaque pas, les bords de ma chaussure poussent sur mes malléoles ensanglantées, à chaque objet saisi, mes mains brûlent, à chaque mouvement, mes épaules, mes coudes, mon dos me font souffrir. Pieds, mains, épaules, coudes et dos sont pourtant des outils qu’hier encore j’utilisais allègrement dans les différents passages qu’une voie d’El Capitan peut proposer. Oh non,  hier je n’avais pas mal ! J’étais fier de voir mon sang couler dans les fissures de « Freerider » (1000m, 30 longueurs, 5.13a). Fier de donner de moi-même, comme un laissez-passer, un cadeau, offert au granit en échange de la beauté de son escalade.

Oh oui on s’est battu ! Mais le combat n’était pas douloureux, comme si on regardait simplement un match de boxe : des coups sont donnés mais on ne sent rien. Dans le coin bleu, c’est le granit. Il combat avec différentes techniques : fissures à doigts qui transforment tes doigts en chair à saucisse, fissures à mains qui épluchent ta peau des mains, offwidths qui broient malléoles, genoux, épaules et coude, et enfin des dalles qui s’occupent de malmener tes pied. Dans le coin rouge c’est toi. Et toi, tu accumules les coups. Esquiver, c’est difficile, en donner ou contre-attaquer, c’est impossible. C’est toujours le granit qui gagne. Pourtant sur le moment on ne sent rien. Je ne sais pas ce que le corps sécrète à ce moment-là, mais ça doit être sacrément fort ! Le lendemain par contre, le corps ne sécrète plus rien. Et tous les petits bobos dont on est si fier pendant la grimpe se transforment en vraies blessures de guerre, celles qui te rappellent que t’es bien en vie. « Douleur, ô ma douleur tiens-toi tranquille » ai-je alors envie de clamer, crier, hurler. Crèmes, désinfectants, étirements ou remèdes de grand-mère, tout est bon à prendre que ça passe.

Pourquoi se faire tant de mal me direz-vous ? Je me suis bien-sûr posé la question toute les fois où je me suis réveillé meurtri et tout en douleur après une journée passée sur le ring Yosemitique. Oh non, je n’aime pas souffrir ! Seulement, le corps est bien fait : les blessures sont faites pour être guéries et les douleurs faites pour passer. Par contre, le doux souvenir des derniers mètres facile de « Freerider » suivis par un morceau fromage partagé au sommet survivra aux petites plaies sur mes mains. Le souvenir explosif d’une arrivée au relais après un combat « acide-lactidique » survivra à mes pieds rougeoyants et avides de crème réparatrice. Le souvenir goûtu d’un repas chaud après une journée d’effort survivra à un petit boitillement. Pourquoi me jetterais-je à corps perdu dans une lutte où je sortirai vaincu et souffrant ? La réponse est simplement que la douleur passe mais que les souvenirs restent !

Douleur, ô ma douleur, pour ces souvenirs, cent fois je te vivrai et revivrai !

C’est en 15h40 que Siebe et moi sommes arrivés au bout de « Freerider » sur El Capitan en libre dans la journée. Et cette journée valait toute la douleur du monde !

Slot moi de là !

« Séba, ça va pas là… je suis coincé… J’en peux plus… » Il souffle, crie, râle, souffre, pleu… Ah non quand même pas. « Abandonne-moi là, continue sans moi ! », « Aaaaaargh, j’ai peur là »,… Le décor est planté : Rico est dans une situation bien difficile. Il se trémousse et se débat dans une longueur bien connue des grimpeurs du Yosemite : le fameux « Harding slot », longueur majeure de la toute aussi connue « Astroman ». Il s’agit d’une large fissure verticale en forme d’entonnoir dans laquelle on peut tout juste se glisser, se coincer, ramper et en sortir épuisé, brisé et couvert de sueur. Dans la vallée on en parle comme du grand méchant loup : ceux qui l’ont grimpée en ont un souvenir impérissable mais ne préféreront probablement jamais y remettre les pieds et les mains, ceux qui n’y sont jamais allé rêvent de s’y aventurer mais la plupart n’osera probablement jamais.

« Astroman » faisait bien évidemment partie de la liste de Rico. Quant à moi, j’avais déjà essayé cette magnifique voie l’année précédente mais avais été mis en échec par le « Harding slot ». Je voulais donc prendre ma revanche et retenter ma chance.

C’est donc tête baissée, par un jour de beau temps, que nous avons foncé dans la voie. Les 5 premières longueurs filent à toute vitesse. Rico enchaine en tête avec brio « the enduro corner », le premier crux de la voie, un longue fissure à main que l’on grimpe en dülfer, cotée 7a. Ensuite il avale une cheminé glissante et pas évidente. Il a l’air d’avoir pris ses marques le padre ! Nous voilà sous LA longueur. Je m’élance en tête et, connaissant les méthodes, j’avance vite et efficacement. Coincé dans ce trou, je crie, et contracte tous mes muscles, serre toutes les micro-prises à ma portée, pour avancer coûte que coûte, centimètre par centimètre. Au bout de 15 minutes (ce qui m’a semblé une éternité) je sors de ce trou complètement essoufflé. C’est au tour de Rico et vous connaissez la suite : comme la plupart des gens, il en a ch** !

Bon, si ces mots sont posés dans ce texte, c’est qu’au bout du compte il s’en est sorti. Le harding slot dernière nous, on a même profité pleinement de la suite de la voie qui offre une escalade variée et plutôt dingue !

Extrait d’une relation épistolaire entre Rico et sa femme (la mère d’un autre membre de l’équipe) :

A l’attention de : ma femme et, surtout dans le cadre de la présente, la mère de Sébastien

Concerne : dépôt d’une plainte à l’encontre du sus-nommé, allias ton fils.

Objet du délit : enlèvement et tentative d’enfermement dans une fissure de granit

Description des faits :

Chargé de surveiller une bande de p’tits jeunes et les accompagner dans leurs pérégrinations yosemitiques, un piège m’a été subrepticement tendu par ceux-ci. Entraîné par leur enthousiasme, je les ai suivis dans « Generator crack », « Crucifix » ou encore « Astroman », des voies particulièrement connues pour leur « off-width » !

« Off-width » : Késeksa ? Heureusement, le grimpeur européen ne connait pas ce terme qui, pour résumer, désigne une fissure trop large à utiliser pour grimper avec les mains et pas assez large que pour grimper en opposition comme dans une cheminée. Bref, impossible à grimper. Et pourtant j’ai été obligé par ces jeunes fous ! Comment ? C’est très simple : il suffit simplement de glisser toute la partie du corps qui veut bien rentrer (suivant le cas : le bras, l’épaule, le tronc en partie ou en entier, la (ou les) jambe(s), les oreilles,…) et de contorsionner le tout dans un ramping vertical en un combat de corps à corps où le rocher sort gagnant à tous les coups. La manœuvre consiste à contracter tous les muscles pour bien coincer le tout, secouer l’ensemble pour gagner un mètre,  sentir que, malgré un mouvement frénétique des jambes, on redescend de ½ mètre,  puis recommencer pendant 1 heure, pour gagner le relais, 30 mètres plus haut. Le tout généralement accompagné de cris, transpiration abondante, arrachement de peau et autres plaisirs physiques. Evidemment, on en sort complètement vidé.

Et ils appellent ça de l’escalade… please, help me ! 

Voies faites en libre
  • Free Rider – En un jour
  • Father Time – En un jour
  • Final frontier – Onsigth
  • Mount Watkins – En un jour

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